Un petit mardi soir comme un autre. Mais au cinquième étage du Centre Eaton, c’est la fête. Popcorn, bonbons et jus d’orange coulent à flots. Le musée Grévin Montréal fête le lancement du tout premier livre de PL Cloutier. Et des centaines de jeunes se sont acheté des billets pour y assister.
PL qui ? PL Cloutier, un youtubeur suivi par près de 300 000 abonnés, qui délire quotidiennement sur le web, à faire frire des trucs bizarres dans sa friteuse ou tester des produits avec des invités choisis. Entre un « bon verre de vin » et 100 couches de Nutella, le jeune homme de soi-disant « 25 ans » passe aussi quelques messages plus personnels, notamment au sujet de son coming out, de son homosexualité, bref, de la diversité.
Dans Toute va ben été, publié cette semaine aux Éditions de l’Homme, PL Cloutier fait le récit « sans prétention » de « ce que la vie [lui] a appris… ou pas », rit-il en entrevue.
« Je fais des vidéos parce que j’avais envie d’en faire », précise d’emblée celui qui a longtemps voulu percer à la télé. S’il est devenu par la bande et sur YouTube un modèle pour des milliers de jeunes, « tant mieux ». « Mais ce n’est pas un rôle que je me donne, dit-il. Je me permets des impertinences… »
Un modèle authentique
Dans son livre, il propose plusieurs réflexions qui lui confèrent plus ou moins un rôle de « grand frère », notamment son récit entourant le bal des finissants (trop d’attentes), l’alcool (la tequila, c’est non !) et bien évidemment son coming out (jamais terminé).
Dans la foule venue l’applaudir mardi soir, beaucoup de jeunes filles ont indiqué apprécier son humour et son authenticité, et quelques garçons, son ouverture. Un couple pansexuel de 20 ans nous a aussi confié que c’était grâce à PL Cloutier qu’ils arrivaient aujourd’hui « à s’affirmer en tant que qui ils sont. C’est-à-dire en tant que pansexuels [contrairement aux bisexuels, ils rejettent la binarité des genres] ».
« Parce qu’il manque de modèles, effectivement. Il a changé notre façon de voir les choses. Il nous a fait voir les choses plus positivement. »
— Kathy, 20 ans, et Maxime, 21 ans
Parmi les parents présents, beaucoup ont avoué peu connaître le personnage. D’autres ont dit apprécier son ouverture, voire sa légèreté. « J’ai finalement compris, rit une mère. Il y a beaucoup de choses très sérieuses dans la vie, mais ici, YouTube, c’est un espace pour rire. » Bien sûr, elle aurait préféré que les modèles de ses enfants soient plus « inspirants », glisse- t-elle, voire « engagés ». Faute de quoi, croit-elle, « il faut, comme parents, leur offrir d’autres modèles, pour qu’il y ait un équilibre. Il faut bien les accompagner ».
Une responsabilité ?
Accaparés par leurs fans qui leur quémandaient sans cesse des égoportraits, plusieurs youtubeurs présents au lancement nous ont tout de même signalé prendre leur rôle de modèles au sérieux. À commencer par Gabrielle Marion, youtubeuse trans de 24 ans (25 000 abonnés), qui a précisément changé l’angle de sa chaîne pour documenter sa transition. « Avant, je faisais de la beauté pour le fun, mais quand j’ai commencé ma transition, j’ai changé le sujet de ma chaîne pour aider les gens, dit-elle. Je voulais montrer ce que c’est, comment ça fonctionne. Parce que moi, plus jeune, j’aurais aimé qu’on me dise tout ça. Un trans, je n’ai pas su que ça existait avant d’avoir 18 ans ! », signale-t-elle, glissant au passage ne pas faire des vidéos que pour les gens « comme [elle] », mais aussi pour « ouvrir un peu la pensée des gens ».
Même concept de la « responsabilité » de la part de Fred Bastien, qui, avec ses 32 000 abonnés, confirme : « L’oncle de Spider-Man lui a dit : “With great power comes great responsibility !” »
Ayant lui-même arrêté de manger de la viande il y a 12 ans « à la base à cause d’un band ! », il sait à quel point un fan peut être influencé par ses idoles. « Je n’ai jamais aspiré à ça, signale-t-il en toute humilité, mais je sais que ça arrive. » D’où son sens de la responsabilité : « Notre intégrité, c’est tout ce qu’on a. Il y a des jeunes qui nous écoutent, et qui peuvent prendre tout ce qu’on dit pour du cash, avance-t-il. Alors nous, on a une tribune, et il faut essayer d’être à la hauteur du privilège que l’on a d’être écoutés. »
96 % des jeunes de 13 à 24 ans font un usage régulier de YouTube. Onze heures par semaine en moyenne.
La très populaire Emma Verde (plus de 500 000 abonnés et des dizaines de messages privés reçus chaque jour) s’est rendu compte de son influence en rencontrant des abonnées (surtout des jeunes filles) carrément habillées comme elle. Du coup, non, elle ne fait pas la promotion de n’importe quoi. « Il faut savoir qu’en tant qu’influenceurs, on a énormément de demandes [de la part des marques], dit-elle. Mais moi, les produits amaigrissants et le fast-food, je dis non. Mon public est assez jeune, ce ne serait pas correct. Je ne vois pas le but. Je préfère parler de marques comme Tampax, qui font des campagnes sur la confiance en soi. »
Des questions éthiques
Reste que parfois, les sujets abordés par les youtubeurs sont plus controversés. On pense à Cam Grande Brune (près de 50 000 abonnés, majoritairement âgés de 18 à 35 ans, dit-elle), qui, après quelques hésitations, a finalement décidé de documenter son augmentation mammaire. « De toute façon, justifie Camille Ingels-Fortier, il ne faut pas se cacher les yeux. Ça existe dans la vie. Alors, tant qu’à être confronté, aussi bien l’être d’une manière ouverte. »
L’éditeur d’Infopresse, Arnaud Granata, a soulevé dernièrement sur les ondes de Télé-Québec plusieurs questions éthiques quant au contenu diffusé par les youtubeurs, justement. « On sait que les influenceurs se font offrir des interventions esthétiques moyennant une certaine visibilité. Cela vient poser plusieurs questions, quand on sait par ailleurs que l’industrie ne réglemente pas l’internet comme les médias traditionnels. Il y a bien des ajustements à faire », dit-il en entrevue.
Jeudi dernier, le Collège des médecins s’est finalement prononcé contre de telles pratiques : « offrir des soins médicaux gratuitement à ces influenceurs en échange d’une visibilité est un avantage qui est proscrit ». Il invite également à la « prudence » face au « marketing d’influence ».
De leur côté, les Normes canadiennes de la publicité (NCP) ont certes publié récemment une série de bonnes pratiques pour les réseaux sociaux, mais elles tardent à être appliquées.
Le studio Le Slingshot, qui représente des youtubeurs, a à ce sujet une politique de « transparence à 100 % ». Un document diffusé à l’interne dresse une série de « bonnes pratiques » à respecter, au sujet des collaborations avec les marques, notamment.
« Il n’y a rien qui vaut plus que le lien de confiance entre le youtubeur et sa communauté. »
— Gabrielle Madé, directrice du studio Le Slingshot, qui représente des youtubeurs
Quant à savoir s’il est éthique ou non de recevoir gratuitement une augmentation mammaire, la directrice renvoie ici la balle au Collège des médecins. « Camille, elle, a présenté sa démarche dans la sincérité. Et elle le rend en ligne, fait-elle valoir. Attention de ne pas être plus sévère avec les youtubeurs qu’avec les autres médias… »
À ses yeux, YouTube est d’ailleurs loin de ne vendre que du divertissement et du vent. « Moi, je pense personnellement que YouTube change le monde pour le mieux. Parce que YouTube brise l’isolement. » Citant les PL Cloutier et autres Gabrielle Marion de ce monde, elle conclut : « Je suis convaincue qu’ils sauvent des vies. »
YouTube en chiffres
L’influence de YouTube est considérée comme « sans précédent » par de nombreux observateurs.
Trois raisons expliquent cette influence : la proximité, l’accessibilité et l’authenticité des youtubeurs.
32 % des jeunes de 13 à 17 ans disent préférer les youtubeurs comme modèles (aux vedettes de la télé ou du cinéma)
52 % des 18 à 24 ans se sentent « plus proches » des youtubeurs que des vedettes traditionnelles.
61 % des 13 à 17 ans affirment que les youtubeurs « aiment » les mêmes choses qu’eux.
Source : Defy Media (2015)